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Patrimoine

Les donations de la nue-propriété en question ?

Les donations en nue-propriété seraient-elles sacrifiées sur l’autel de l’abus de droit ? À lire certains écrits, on pourrait le penser [1]. Nous sommes nettement plus réservés. Les nouvelles dispositions de l’article L 64 A du livre des procédures fiscales seraient de nature à freiner les donations de la nue-propriété au prétexte qu’elles répondraient d’une préoccupation principalement fiscale, qualification qui permettrait aux agents des impôts de retenir comme base imposable la valeur de la pleine propriété et non celle de la nue-propriété, éventuellement.

Jean AULAGNIER
- Vice-Président de l'AUREP
- Doyen honoraire, Université Clermont Auvergne

Le législateur a en effet rajouté à l’article L 64 les dispositions suivantes (LPF art. L. 64 A nouveau) :

« Afin d’en restituer le véritable caractère … l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposable les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles » [2].

Jusqu’alors n’étaient pas opposables les actes ayant pour motif exclusif d’éluder l’impôt, la rectification étant assortie d’une majoration de 80% de l’impôt éludé.

Si le motif fiscal est principal, l’administration pourrait faire valoir cette nouvelle rédaction et refuser la détermination des droits sur une base taxable réduite. Il est vrai que l’appréciation du caractère exclusif ou principal est de la compétence des agents des impôts, à charge pour le contribuable d’agir [3] ou de réagir pour contester la prétention de l’administration.

On parle d’un pouvoir d’appréciation excessif accordé à l’administration comme d’ailleurs on pouvait en parler lorsqu’il s’agissait d’apprécier le motif exclusivement fiscal.

Certains n’hésitent pas à considérer que : « cette réforme place le contribuable sous le joug d’une insécurité juridique indéniable et dramatique ».

Reconnaissons que cette problématique subsiste. C’est d’ailleurs ce qui avait conduit le Conseil Constitutionnel (décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013) à censurer l’article 100 du PLF pour 2014 qui élargissait l’abus de droit aux actes motivés principalement par une diminution de l’impôt [4].

On ne peut pas nier cependant qu’il existe des situations où l’usage de la règle fiscale est parfois abusif [5].

Saisis de la constitutionnalité de l’article 100 du PLF 2014, les sages avaient souligné « qu’une telle modification de la définition de l’acte constitutif d’un abus de droit a pour effet de conférer une importante marge d’appréciation à l’administration fiscale ». Compte tenu, par ailleurs, des conséquences fiscales (amendes, pénalités, intérêts de retard) attachées à la procédure de l’abus de droit fiscal, le Conseil Constitutionnel avait alors déclaré l’article 100 contraire à la Constitution.

Sous une forme légèrement différente, la mise en avant du motif « principalement » fiscal a refait surface [6] sans que l’article en question ait été soumis à l’avis du Conseil Constitutionnel.

Il est donc applicable en l’état à compter du 1er janvier 2021 pour les actes réalisés à compter du 1er janvier 2020. Il est donc indispensable de le confronter, au moins dans un premier temps, aux actes les plus courants, aux actes les plus fréquents qui présentent un « certain » avantage fiscal : les cessions de la nue-propriété.

Quid des cessions en nue-propriété ?

Les transmissions entre vifs, le plus souvent entre les parents aux enfants, de la nue-propriété, c’est à dire des revenus [7] à percevoir au lendemain de la mort de l’usufruitier ont toujours été pratiquées.

Depuis longtemps, les épargnants se rapprochant lentement mais sûrement de leur fin de vie, envisageant la transmission inéluctable de leur patrimoine se décident à donner la nue-propriété de tout ou partie de leur patrimoine sans attendre sa transmission pour cause de mort.

Qu’ils ne soient encouragés dans cette démarche par l’avantage fiscal d’une taxation réduite à la seule valeur de la nue-propriété [8] ne fait aucun doute, mais que cet avantage soit le facteur principal, c’est à dire déterminant, de l’opération on peut très largement en douter.

Avant d’engager une donation de la nue-propriété, on aura pris soin d’expliquer au candidat donateur les conséquences d’une telle opération. Donner la nue-propriété tout en se réservant l’usufruit, c’est organiser la transmission de son patrimoine certes, mais en conséquences c’est perdre :

-d’une part, le pouvoir d’arbitrage de la pleine propriété, pouvoir qui sera partagé avec les enfants donataires ;

-d'autre part, le pouvoir d’arbitrer la nue-propriété, une fois donnée elle ne pourra plus être cédée à titre onéreux par le donateur, d’où son appauvrissement.

Rapporté à ces deux inconvénients, le gain fiscal est bien modeste, il est loin de pouvoir constituer le facteur déterminant de l’opération.

Et pourtant, le candidat à la donation poursuit son envie de donner. Quelles en sont les vraies raisons ? Quels sont les facteurs véritablement déterminants ?

On en perçoit deux, d’importance inégale.

Le premier, le plus souvent mis en avant avec raison, consiste pour le donateur à écarter les risques d’une transmission indivise. Donner et en profiter pour partager. Chaque épargnant connaît, par son propre vécu ou celui de son entourage, les « affres » de l’indivision, les batailles familiales, l’héritage non préparé devient trop souvent la cause de l’éclatement des familles.

Éviter l’indivision est incontestablement la raison principale de la donation. Lorsque les biens sont divisibles, la donation devient donation partage, partage réalisé sous le sage médiation du donateur.

Lorsque le partage est difficile (en raison de la nature du bien) ou non souhaité (conservation de l’unité du patrimoine), le donateur fera préalablement à la donation apport de la nue-propriété du bien donné à une société civile [9], puis procédera à la donation à ses enfants de la pleine propriété de tout ou partie des parts. La nue-propriété d’abord, puis la pleine propriété ensuite, figureront à l’actif de la société, aucun des donataires ne pouvant imposer aux autres l’arbitrage du bien.

On le voit, l’avantage fiscal est bien secondaire dans l’ordre des préoccupations.

Le second, qui en raison du vieillissement de la population occupera une place croissante. La gestion des biens, notamment immobiliers, n’est pas toujours facile pour des propriétaires vieillissant, pour autant les revenus produits par le bien leur sont encore utiles.

La donation de la nue-propriété sera alors l’occasion d’organiser la répartition des droits et devoirs entre usufruitier et nus-propriétaires, tout en conservant les revenus.

Les règles de répartition des charges prévues par le code civil, sont des règles supplétives. Il est parfaitement possible de les aménager, là encore sous la médiation du donateur, pour répondre à la diversité des situations rencontrées. Les parties peuvent prévoir une répartition des charges évoluant en fonction de leur nature et de l’âge de l’usufruitier.

Il pourra être éventuellement stipulé que l’usufruitier se réserve d’imposer au nu-propriétaire la conversion de l’usufruit en rente, permettant d’écarter alors tout droit de propriété et donc tous les soucis de l’appropriation quand cette possibilité conviendra au donateur, resté usufruitier.

Il serait étonnant que les agents des impôts ne puissent apprécier ce genre de considérants et renoncent alors à se prévaloir de l’argument fiscal comme justification principale de la donation.

Pour les aider et les convaincre, nous recommanderons bien volontiers aux rédacteurs d’actes, dans un exposé, préalable à la donation d’expliciter clairement les raisons de la mise en œuvre de la donation par le ou les donateurs.

C’est d’ailleurs le conseil donnée par Madame Peyrol, interrogée sur la portée de cet amendement: « Il me semble que si le contribuable démontre que l’objectif est d’organiser la succession et de simplifier la gestion du patrimoine alors la fiscalité n’est qu’un accessoire ». [10]

Afin d’obtenir une position claire de cette administration, le sénateur Claude Malhuret a posé la question au Ministre des Finances et de l’Économie, question reprise au Journal des questions en date du 10 janvier 2019 (voir question posée ci-après).

Nous attendons confiant une réponse positive. Les donations en nue-propriété sont trop encrées dans la culture patrimoniale des épargnants pour que l’on puisse en contester l’utilité, d’autant que comme le rapporteur l’a précisé elle-même son amendement ne visait nullement ce type de schéma.

Question au Ministre de l’Économie et des Finances
Monsieur Claude Malhuret attire l’attention de Monsieur le Ministre de l’Économie et des Finances sur les conséquences du vote de l’article 109 de la loi de Finances pour 2019, modifiant sensiblement la définition de l’abus de droit.
Cet article, codifié sous l’article L 64A du livre des procédures fiscales introduit une distinction entre les actes motivés exclusivement ou principalement par des considérations fiscales. « Ne seront pas opposables à l’administration fiscale les actes qui ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».
Les praticiens du conseil patrimonial s’inquiètent des conséquences de cette nouvelle disposition, Quand et comment pourra-t-on savoir qu’un acte est « principalement » motivé par des considérations fiscales ?
À tout le moins et sans attendre l’application de cette disposition aux actes réalisés à compter du 1er janvier 2020, il est demandé de bien vouloir confirmer, que comme le pensent de nombreux praticiens (notaires, conseillers en gestion de patrimoine), toute donation contenant une réserve d’usufruit au profit du donateur, réserve qui participe de la réduction de la base taxable, ne constitue nullement un acte principalement motivé par des considérations fiscales. Il en serait également de même d’une opération d’apport de la nue-propriété à une société civile constituée par le donateur suivie de la donation de la pleine propriété des parts à ses enfants

[1] En s’appuyant sur l’article L64 B du code des procédures fiscales, le contribuable peut préalablement à la signature de la donation consulter par écrit l’administration pour lui expliquer l’objet de l’acte envisagé. À défaut de réponse dans le délai de 6 mois, l’acte peut être engagé en toute sécurité.

[2] L’article 100 du PLF2014 prévoyait qu’au premier alinéa de l’article L. 64 du LPF, les mots : « n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui » étaient remplacés par les mots : « ont pour motif principal ».

[3] Par exemple, une donation assortie d’une réserve d’un usufruit temporaire « infra courte » (quelques mois), qui permettrait une taxation de 77% seulement de la pleine propriété, on aura bien du mal à trouver une justification qui ne soit pas principalement fiscale (application de l’article 669 du CGI)..

[4] L’article 100 du PLF2014 prévoyait qu’au premier alinéa de l’article L. 64 du LPF, les mots : « n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui » étaient remplacés par les mots : « ont pour motif principal ».

[5] Par exemple, une donation assortie d’une réserve d’un usufruit temporaire « infra courte » (quelques mois), qui permettrait une taxation de 77% seulement de la pleine propriété, on aura bien du mal à trouver une justification qui ne soit pas principalement fiscale (application de l’article 669 du CGI)..

[6] Article 109 de la loi de finances pour 2019, résultant d’un amendement porté par Mme Benédicte Peyrol, député de la 3ème circonscription de l’Allier.

[7] À défaut de revenus futurs, le nu-propriétaire peut envisager la jouissance future, par un usage personnel.

[8] On peut mesurer cet avantage fiscal dans l’exemple suivant : Monsieur X, âgé de 78 ans, possède une propriété d’une valeur de 600.000 euros, propriété éventuellement divisible entre ses deux enfants. Il peut attendre la survenance de son décès et espérer que les deux enfants sauront diviser ladite propriété. À valeur constante du bien, la base taxable sera de la valeur de la pleine propriété revenant à chaque enfant soit 300.000 euros. S’il procède sans attendre, considérant que sous sa médiation la division de la propriété sera plus facilement acceptée, la base taxable sera réduite de 30% valeur de l’usufruit réservé, soit 210.000 euros au lieu de 300.000, les droits dus seront réduits 90.000 X 20% soit 18.000 euros.

[9] Société civile dont il sera le gérant avec le maximum de pouvoir.

[10] Position de Madame Peyrol précisée le 7 janvier 2019 dans un échange de mail avec le rédacteur de cet article.

loi 2018-1317 du 28 décembre 2018, JO du 30, texte 1, art. 109

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Date: 26/11/2024

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