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Épargne salariale

Participation aux résultats : le Conseil constitutionnel saisi d'une QPC sur la contestation du montant des bénéfices

Lorsqu’un commissaire aux comptes fixe le montant des bénéfices nets en vue du calcul de la participation aux résultats, le Code du travail interdit de contester son attestation. Les salariés ne peuvent donc pas faire reconnaître une éventuelle fraude de la société à leur détriment. Longtemps ferme sur ce sujet, la Cour de cassation vient de renvoyer la question au Conseil constitutionnel, au nom du droit à un recours en justice effectif.

La remise en cause des attestations sur le montant du bénéfice net est impossible

Le Code du travail circonscrit les litiges en matière de participation aux résultats de l’entreprise. Lors de ces contentieux, il n’est pas possible de remettre en cause les attestations d’inspecteurs des impôts ou de commissaires aux comptes (CAC) sur le montant du bénéfice net et des capitaux propres de l’entreprise (c. trav., art. L. 3326-1, al. 1).

L’impossibilité de contester les attestations a été considérée comme une règle d’ordre public absolu par la Cour de cassation (cass. soc. 28 février 2018, n° 16-50015, BC V n° 36). Quand bien même les salariés ou des syndicats s’appuieraient sur une fraude ou sur un abus de droit dans la gestion de la société, ils ne peuvent pas obtenir la révision de ces variables qui constituent l’essentiel de la formule de calcul de droit commun de la réserve spéciale de participation (c. trav. art. L. 3324-1).

La solution de principe rendue en février 2018, a sur le fond de la décision prise, été confirmée depuis dans d’autres affaires (cass. soc. 6 juin 2018, n° 16-24566 D).

À noter : seul un redressement prononcé par l’administration fiscale ou le juge de l’impôt peut conduire à un nouveau calcul de la réserve spéciale de participation, basé sur des montants révisés (c. trav., art. D. 3324-40). Toutefois, cette rectification est subordonnée à l'établissement d’une attestation rectificative établie dans les mêmes conditions que l'attestation initiale, c’est-à-dire par le CAC ou par l’inspecteur des impôts (c. trav. art. D. 3325-4 ; cass. soc. 28 février 2018, n° 16-17994, BC V n° 37).

Des syndicats contestent l’attestation d’un commissaire aux comptes

Dans une nouvelle affaire, les syndicats ont malgré tout décidé de contester le calcul des bénéfices de leur société, au motif selon eux qu’il aurait pour conséquence de diminuer la participation des salariés aux résultats de l’entreprise. Le bénéfice retenu a pourtant bien été attesté par un commissaire aux comptes en vue du calcul de la réserve spéciale de participation.

Les syndicats n’ont pas désarmé. Ils ont dénié à l’attestation le caractère de sincérité nécessaire, et invoquent sa nullité. Ils ont demandé aussi qu’un nouveau calcul de la participation soit ensuite effectué.

Ils mettent surtout en doute la constitutionnalité de l’article L. 3326-1 du Code du travail, à savoir de la règle qui interdit de contester les attestations d’inspecteurs des impôts ou de commissaires aux comptes sur le montant du bénéfice net et des capitaux propres de l’entreprise à l’occasion de litiges sur la participation.

Un des syndicats partie au litige estime en effet que cette règle prive les salariés et leurs représentants de toute voie de recours permettant de contester un élément du calcul de la réserve spéciale de participation.

La Cour de cassation renvoie la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel

Si elle s’en tenait à la ligne qu’elle a appliquée jusqu’ici, la Cour de cassation devrait donner tort aux syndicats. Mais elle note d’abord que la question de la constitutionnalité de cette règle n’a jamais été posée au Conseil constitutionnel et ajoute qu’elle présente un caractère sérieux.

Les juges conviennent que l’attestation vise seulement à assurer la concordance entre le montant retenu pour le calcul de la participation, et celui appliqué par l’administration fiscale (tribunal des conflits, 11 décembre 2017, n° C4104). Elle est donc établie sans que son auteur n’ait de véritable pouvoir de contrôle de la situation de l’entreprise. Une manière pour la Cour de pointer la fragilité des conditions de détermination du bénéfice net.

Empêcher de contester ce résultat pourrait donc s’analyser comme une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif, protégé par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

La question est renvoyée devant le Conseil constitutionnel, qui doit se prononcer sous 3 mois.

Vers une possibilité de contester les actes de gestion réduisant artificiellement le bénéfice net ?

Jusqu’ici, l’impossibilité de contester les attestations constitue un obstacle pour les salariés et syndicats en particulier lorsqu’ils reprochent à leur employeur de minorer artificiellement les bénéfices par la méthode des « prix de transfert ».

Dans un groupe multinational, une société-mère étrangère peut en effet facturer diverses prestations à une filiale française. Si le prix de ces services est comparable à celui que la filiale aurait payé pour la même prestation avec une entreprise indépendante sur le marché, la pratique est légale. Mais en surfacturant, la société-mère peut abusivement faire remonter jusqu’à elle les bénéfices de sa filiale.

Ce type de manœuvre permet de bénéficier d’un traitement fiscal plus avantageux des bénéfices à l’étranger. Il réduit aussi le résultat affiché par la filiale, ce qui diminue mécaniquement les sommes dues aux salariés au titre de la participation. L’administration fiscale et le juge sont donc susceptibles de corriger les bénéfices déclarés (CGI art. 57). Mais tant que l’opération n’est pas sanctionnée au plan fiscal, les salariés ne bénéficient pas de la correction de leur droit à participation.

En cas de déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L. 3326-1 du Code du travail, les salariés pourraient eux-mêmes attaquer les principales variables du calcul de leur réserve de participation en dénonçant l’illégalité des actes de gestion litigieux de la société, et ce sans attendre un éventuel redressement par l’administration fiscale. La possibilité de contester les attestations poserait par ailleurs la question du juge (fiscal ou judiciaire) devant lequel porter ces litiges.

En outre, les pouvoirs publics pourraient être amenés à intervenir pour modifier le code du travail.

Cass. soc. 25 octobre 2023, n° 23-14147 FSB