Newsletter

Paye,Social

Télétravail

Télétravail sur préconisation du médecin du travail : une indemnité d’occupation du domicile est-elle due au salarié ?

Pour la cour d’appel de Paris, la réponse est oui. Elle indique, dans un arrêt du 21 décembre 2023, que l’employeur doit verser une indemnité d’occupation du domicile quand le médecin du travail préconise le télétravail pour un salarié.

Un directeur commercial télétravaille à son domicile sur recommandation du médecin du travail

Un salarié engagé comme directeur commercial a été en arrêt de travail pour maladie à plusieurs reprises, sachant qu’il avait été auparavant reconnu comme travailleur handicapé.

À la suite de l’un de ces arrêts, le médecin du travail l’a déclaré apte à reprendre le travail mais uniquement en télétravail et sans déplacements professionnels. Le médecin du travail a en effet considéré qu'il ne pouvait pas travailler au sein des locaux de l’entreprise dans de bonnes conditions. Il a maintenu cette préconisation d’aménagement du poste dans des avis successifs. Le salarié a ainsi occupé durant 15 mois son domicile pour ses besoins professionnels.

L’histoire s’est mal terminée, puisque le salarié a été licencié pour différents motifs. L’intéressé a alors saisi le conseil de prud’hommes en demandant notamment que son licenciement soit déclaré nul et en réclamant, entre autres sommes, une indemnité d’occupation du domicile. C’est ce point de l’affaire qui nous intéressera ici.

Le salarié a fait notamment valoir que, durant les 15 mois où il était en télétravail, il a occupé environ 4 m2 de son domicile qui en comptait 34 et pour lequel il supportait un loyer mensuel de 1 057,00 €. Il a obtenu gain de cause devant le conseil de prudhommes qui a notamment jugé le licenciement nul et condamné l’employeur à lui verser une indemnité d’occupation du domicile de 1800 €.

L’employeur a fait appel de cette décision. Pour se défendre, il fait valoir, entre autres arguments, que le salarié ne peut pas prétendre à une indemnité au titre de l'occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu'un local professionnel est mis à sa disposition.

La cour d’appel condamne l’employeur à payer une indemnité d’occupation du domicile

La cour d’appel rappelle que les frais professionnels engagés par le salarié doivent être supportés par l'employeur (cass. soc. 21 mai 2008, n° 06-44044, BC V n° 108). Or, les frais engagés par le télétravailleur sont des frais professionnels, sous réserve bien entendu qu’il ait réellement supporté ces dépenses. Il s’agit ici des frais fixes et variables liés à la mise à disposition d'un local privé pour un usage professionnel.

La cour d’appel souligne aussi que le salarié a dû télétravailler sur demande du médecin du travail (et non de son propre chef). Ce recours au télétravail étant indispensable à la protection de sa santé, il ne pouvait pas avoir pour effet de réduire le montant de sa rémunération en lui faisant supporter les frais professionnels générés par le télétravail.

La cour d’appel a confirmé la condamnation de l’employeur.

L'utilisation d'un espace du domicile du salarié et de différents matériels à des fins professionnelles justifiaient donc pour les juges l'indemnité de 1 800 € pour le dédommagement des frais qu’il avait exposés en télétravail.

Le télétravail peut être recommandé par le médecin du travail pour un salarié déclaré apte

On savait déjà que si le médecin du travail préconise de recourir au télétravail pour reclasser un salarié déclaré inapte, l'employeur doit examiner cette possibilité. Lorsque le télétravail est compatible avec les fonctions du salarié, l'employeur ne peut pas écarter cette solution au seul motif que l'entreprise ne pratique pas le télétravail, au risque de se voir reprocher une exécution déloyale de son obligation de reclassement (cass. soc. 29 mars 2023, n° 21-15472 FB).

Si, comme dans l’affaire soumise à la cour d’appel de Paris, le salarié est déclaré apte, le médecin du travail peut aussi proposer un aménagement de son poste de travail compte tenu notamment de sa santé physique et mentale (c. trav. art. L. 4624-3). En l’espèce, l’aménagement préconisé était du télétravail.

L'employeur est tenu de prendre en considération cette proposition (c. trav. art. L. 4624-6). Il peut tout de même refuser de la suivre, mais il doit alors faire connaître par écrit au salarié et au médecin du travail les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. Dans l’affaire qui nous intéresse, l’employeur avait bien suivi cette préconisation.

Pour la cour d’appel de Paris, l’indemnité d’occupation du domicile est due en cas de télétravail au domicile sur préconisation du médecin du travail

La jurisprudence a posé comme règle que, si un salarié travaille à son domicile à la demande de son employeur, il peut prétendre à une indemnité au titre de l'occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu'un local professionnel n'est pas mis effectivement à sa disposition (cass. soc. 12 décembre 2012, n° 11-20502, BC V n° 339 ; voir Dictionnaire Social, « Domicile »).

Dans notre affaire, l’employeur considérait ne pas devoir cette indemnité puisqu’il mettait bien un local professionnel à la disposition du salarié (cass. soc. 4 décembre 2013, n° 12-19667, BC V n° 300).

Mais, la cour d’appel de Paris ne l’a pas entendu ainsi. Elle a considéré que l’indemnité d’occupation du domicile est également due quand le télétravail est préconisé par le médecin du travail pour un salarié déclaré apte (ou, à notre sens, inapte). Elle s’appuie d’une part, sur les règles relatives aux frais professionnels et d’autre part, sur celles relatives aux aménagements de postes préconisés par le médecin du travail.

À notre connaissance, c’est la première fois qu’une telle précision est apportée. Reste à savoir quelle serait la position de la Cour de cassation si elle venait à être saisie.

Quant au montant de cette indemnité, il est à définir compte tenu de la sujétion particulière que représente l’occupation professionnelle du domicile et des frais que cette occupation engendre. L’indemnisation peut varier compte tenu du taux d’occupation du domicile (cass. soc. 7 avril 2010, n° 08-44865, BC V n° 86).

CA Paris 21 décembre 2023, n° 20/05912 ; https://www.courdecassation.fr/decision/65855b20673fa80008f8dc0d