Vie des affaires
Cession d'actions
Une clause d'agrément s'interprète selon la loi en vigueur au jour de l'adoption des statuts
Dans une société anonyme, en cas de litige sur l'application d'une clause d'agrément, les juges doivent rechercher la volonté des actionnaires à la lumière de la loi en vigueur au moment de la signature des statuts.
Une clause statutaire d'agrément rédigée en 1985
Un actionnaire cède ses actions sans agrément statutaire préalable
Les statuts de deux sociétés anonymes non cotées, adoptés en 1985, stipulent que « sauf dispense de la loi, toute cession ou transmission d'actions quelles qu'en soient la nature et la forme est soumise à l'agrément préalable du conseil d'administration ».
La loi en vigueur lors de l'adoption des statuts prévoyait que « sauf en cas de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux, ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant, la cession d'actions à un tiers à quelque titre que ce soit, peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts » (loi 66-537 du 24 juillet 1966, art. 274).
En 2004, la loi évolue, prévoyant la possibilité de soumettre à agrément également les cessions d’actions entre actionnaires (c. com. art. L. 228-23, ancien article 274 de la loi du 24 juillet 1966).
En juillet 2018, un actionnaire des deux sociétés cède ses actions à un autre actionnaire, qui les cèdent, lui aussi, dès le lendemain à un autre actionnaire. Les cessions s'opèrent sans demande d'agrément préalable au conseil d'administration.
Le président directeur général des deux sociétés refuse d'enregistrer les cessions
Le président directeur général (identique dans les deux sociétés), refuse d'enregistrer les cessions. Selon lui, faute d'agrément donné par le conseil d'administration de chaque société, les cessions sont nulles.
Les cessionnaires assignent alors les sociétés et leur président directeur général en vue de voir ordonner l'inscription des cessions dans les livres des sociétés mais cette demande est rejetée par les juges en appel.
Quelle loi appliquer à cette clause ?
Pour la cour d'appel, c'est la loi en vigueur au jour de la cession
Pour les juges d'appel, la société étant une institution soumise à la loi, les évolutions de cette dernière sont immédiatement applicables à ses statuts.
Ainsi, lors des cessions intervenues en 2018, l'article L. 228-23 du code de commerce prévoyait qu'il était possible de soumettre à agrément toutes les cessions d'actions, à l'exception des cas de succession, de liquidation du régime matrimonial ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant.
Il en résulte pour les juges, qu'une cession d'actions entre actionnaires réalisées à ce moment, en dehors de ces exceptions, devait être soumise à agrément par la clause des statuts.
Dès lors, les juges considèrent que, faute d'agrément, ces cessions étaient entachées de fraude.
Les cessionnaires se pourvoient alors en cassation.
Censure de la Cour de cassation
Analysant les statuts comme un contrat, la Cour de cassation estime que les juges d’appel auraient dû, pour interpréter les clauses d'agrément, analyser l'intention des actionnaires à la lumière de la loi en vigueur au jour de leur adoption.
Dès lors, les juges d'appel auraient dû rechercher, si, à cette date, les actionnaires avaient souhaité soumettre le périmètre des clauses d'agrément aux modifications légales ultérieures ou, au contraire, s'ils entendaient uniquement soumettre à agrément les cessions d'actions à des tiers, seule possibilité légale prévue à ce moment.
En conséquence, la Cour de cassation censure la décision des juges d'appel.
Pour aller plus loin :
Le mémento de la SA non cotée, RF Web 2021-5, § 1256
Cass. com. 15 mars 2023, nos 21-15393 et 21-15808