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Preuve

Un salarié peut-il attester l’existence d’un harcèlement moral par un enregistrement clandestin de son employeur ?

La position de la Cour de cassation concernant l’utilisation en justice d’une preuve déloyale trouve une nouvelle fois à s’appliquer dans une affaire de harcèlement moral. La salariée avait ici enregistré clandestinement son employeur pour disposer d’éléments attestant la réalité du harcèlement qu’elle soutenait avoir subi.

Une salariée enregistre clandestinement son employeur à qui elle reproche un harcèlement moral

Une salariée, en temps partiel thérapeutique, a été licenciée pour cause réelle et sérieuse.

Soutenant avoir subi un harcèlement moral, elle demandait que son licenciement soit jugé nul.

Dans le but d’attester qu’elle avait fait l’objet de pressions de la part de son employeur pour accepter de signer une rupture conventionnelle en la menaçant de licenciement, la salariée a notamment produit la retranscription d’un enregistrement clandestin d’une conversation avec son employeur.

Les juges du fond ont écarté cet élément de preuve comme étant contraire au principe de loyauté mais la Cour de cassation n’a pas suivi leur argumentation.

Une preuve déloyale ou illicite n’est pas nécessairement écartée des débats

En cas de contentieux, les preuves apportées doivent en principe être obtenues licitement et loyalement (c. proc. civ. art. 9). Pour autant, une preuve illicite ou déloyale n’est pas nécessairement écartée des débats (cass. ass. plén. 22 décembre 2023, n° 20-20648 BR).

Comme le rappelle la Cour de cassation dans sa décision du 10 juillet 2024, le juge du fond doit apprécier, à la demande de la partie qui cherche à s’en prévaloir, si cette preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence (ex. : le droit à la vie privée). Le droit à la preuve peut en effet justifier la production d'éléments portant atteinte à ces autres droits à la double condition :

-que cette production soit indispensable à son exercice, à savoir, la preuve apportée doit être la seule possible pour établir la vérité ;

-et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Les juges du fond n’ont pas procédé aux recherches nécessaires

Dans notre affaire, la Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié :

-si la production de l'enregistrement de l'entretien effectué à l'insu de l'employeur était indispensable à l'exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué,

-et, dans l'affirmative, si l'atteinte au respect de la vie personnelle de l'employeur était strictement proportionnée au but poursuivi.

De fait, les juges du fond se sont contentés de relever que la salariée avait « d'autres choix que d'enregistrer l'entretien du 1er décembre 2014 avec son employeur pour prouver la réalité du harcèlement subi depuis plusieurs mois », sans indiquer lesquels.

L’affaire est donc renvoyée devant une autre cour d’appel qui aura à charge d’apprécier si la retranscription de cet enregistrement clandestin peut être produite aux débats.

Le rapprochement peut être fait avec une autre affaire récente où un enregistrement clandestin avait, en revanche, été écarté comme n’étant pas indispensable au soutien des demandes du salarié car il existait (cass. soc. 17 janvier 2024, n° 22-17474 FB ; voir notre actu du 18/01/2024, « Preuve déloyale : un enregistrement clandestin d'un entretien écarté car jugé non indispensable ») :

-d’une part, un rapport d’enquête sur le harcèlement moral qui avait été effectué en présence de l'inspecteur du travail et du médecin du travail ;

-et, d’autre part, le salarié avait produit d’autres éléments laissant supposer un harcèlement moral.

Le salarié n’a pas à rapporter la preuve d’un harcèlement moral

La Cour de cassation est venue rappeler un autre point essentiel dans cette affaire : en matière de harcèlement moral, la preuve ne pèse pas sur le salarié. Il revient uniquement à ce dernier de présenter des faits qui permettent de « présumer » l'existence d'un harcèlement. C’est ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (c. trav. art. L. 1154-1).

Or, les éléments produits par le salarié, y compris les éventuels documents médicaux, doivent être pris dans leur ensemble pour apprécier si les faits matériellement établis permettent de présumer qu’il y a harcèlement moral (cass. soc. 3 février 2021, n° 19-24102 D).

Mais, dans cette affaire, les juges du fond, après avoir écarté plusieurs éléments dont la retranscription de l’enregistrement clandestin, n’ont pas tenu compte du défaut de formation de la salariée sur son nouveau poste de travail et du fait qu'elle avait été sanctionnée à plusieurs reprises.

Ils auraient dû d'examiner ces éléments de fait et apprécier si ceux-ci, pris dans leur ensemble avec les autres éléments dont les éléments médicaux, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral. En cas de constat positif, les juges auraient ensuite dû apprécier si l'employeur démontrait que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement.

À cet égard, la cour d’appel de renvoi devra aussi se prononcer sur la réalité ou non du harcèlement moral invoqué par la salariée.

Cass. soc. 10 juillet 2024, n° 23-14900 FB